La généralisation du télétravail bouleverse les frontières entre vie professionnelle et personnelle, soulevant des questions juridiques inédites en matière d’accidents du travail. Décryptage des enjeux et des évolutions législatives.
Le cadre légal du télétravail en France
Le télétravail est encadré par le Code du travail, notamment depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017. Cette législation définit le télétravail comme toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication.
La mise en place du télétravail nécessite un accord collectif ou une charte élaborée par l’employeur après consultation du comité social et économique (CSE). En l’absence de tels documents, un simple accord entre l’employeur et le salarié suffit. La loi prévoit que le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise.
La notion d’accident du travail en télétravail
La définition de l’accident du travail reste inchangée en situation de télétravail : il s’agit d’un accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail. Cependant, son application soulève de nouvelles interrogations. En effet, la présomption d’imputabilité qui s’applique habituellement aux accidents survenus sur le lieu et pendant le temps de travail est plus difficile à établir lorsque le salarié travaille depuis son domicile.
La jurisprudence tend à considérer que tout accident survenu sur le lieu de télétravail pendant les heures de travail est présumé être un accident du travail. Toutefois, l’employeur peut apporter la preuve que l’accident est survenu en dehors de toute activité professionnelle.
Les zones grises juridiques du télétravail
Plusieurs situations soulèvent des questions juridiques complexes. Par exemple, un accident survenu lors d’une pause café ou déjeuner à domicile peut-il être considéré comme un accident du travail ? La réponse dépendra des circonstances précises et de l’appréciation des juges.
De même, la question des accidents de trajet se pose différemment en télétravail. Si le salarié se rend dans un tiers-lieu pour télétravailler, le trajet pourra être considéré comme un trajet professionnel. En revanche, un déplacement pour aller chercher ses enfants à l’école pendant la journée de télétravail ne sera généralement pas couvert.
Les obligations de l’employeur en matière de sécurité
L’employeur reste tenu à une obligation de sécurité envers ses salariés en télétravail. Il doit s’assurer que le poste de travail à domicile est conforme aux normes de sécurité et d’ergonomie. Cela peut impliquer la fourniture d’équipements adaptés ou la réalisation d’une évaluation des risques à distance.
La prévention des risques psychosociaux prend une importance accrue en télétravail. L’employeur doit veiller à prévenir l’isolement des télétravailleurs et à respecter leur droit à la déconnexion. Des mesures comme des points réguliers avec le manager ou la mise en place d’outils collaboratifs peuvent être nécessaires.
La déclaration et la reconnaissance des accidents en télétravail
La procédure de déclaration d’un accident du travail reste la même en télétravail. Le salarié doit informer son employeur dans les 24 heures, et ce dernier doit déclarer l’accident à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) dans les 48 heures.
La difficulté réside souvent dans la preuve de l’accident. Il est recommandé au salarié de documenter précisément les circonstances de l’accident et de conserver toute preuve matérielle. L’employeur peut contester le caractère professionnel de l’accident auprès de la CPAM, qui mènera alors une enquête.
Les évolutions législatives et jurisprudentielles récentes
Face à l’augmentation du télétravail, le législateur et les tribunaux adaptent progressivement le droit. La loi du 2 août 2021 sur la santé au travail a renforcé les obligations de l’employeur en matière de prévention des risques, y compris pour les télétravailleurs.
La jurisprudence tend à élargir la notion d’accident du travail en télétravail. Par exemple, un arrêt de la Cour de cassation du 2 novembre 2021 a reconnu comme accident du travail la chute d’un salarié dans ses escaliers alors qu’il se rendait à sa pause déjeuner pendant une journée de télétravail.
Les perspectives d’évolution du cadre juridique
Le développement du télétravail pourrait conduire à une refonte plus profonde du droit du travail. Des réflexions sont en cours sur la création d’un statut spécifique pour les télétravailleurs, qui prendrait mieux en compte les spécificités de cette forme d’organisation du travail.
Des discussions sont engagées sur l’adaptation du système d’assurance contre les accidents du travail au contexte du télétravail. Certains proposent la mise en place d’une assurance spécifique pour couvrir les risques liés au travail à domicile.
La législation autour du télétravail et des accidents du travail est en pleine mutation. Si le cadre général reste celui du droit commun du travail, de nombreuses adaptations sont nécessaires pour répondre aux spécificités de cette nouvelle forme d’organisation. Employeurs et salariés doivent rester vigilants face à ces évolutions pour garantir une protection adéquate en cas d’accident.