L’occupation non autorisée du domaine public fluvial constitue une infraction fréquente aux conséquences juridiques et financières potentiellement lourdes. Face à la multiplication des usages illicites des cours d’eau et de leurs abords, les pouvoirs publics ont progressivement renforcé l’arsenal répressif. Du simple procès-verbal à l’amende pénale en passant par la remise en état forcée, les sanctions encourues visent à préserver l’intégrité du patrimoine fluvial et à garantir son accès au plus grand nombre. Cet enjeu de gestion domaniale soulève des questions complexes à l’intersection du droit administratif, pénal et environnemental.
Le cadre juridique de l’occupation du domaine public fluvial
L’occupation du domaine public fluvial est strictement encadrée par le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) et le Code de l’environnement. Ces textes posent le principe selon lequel toute utilisation privative du domaine public fluvial nécessite une autorisation préalable de l’administration, généralement sous la forme d’une autorisation d’occupation temporaire (AOT).
Le domaine public fluvial comprend les cours d’eau domaniaux, leurs berges jusqu’à la limite du lit majeur, ainsi que les ouvrages hydrauliques qui y sont implantés. Son périmètre exact est défini par arrêté préfectoral pour chaque cours d’eau. L’occupation sans titre peut prendre diverses formes :
- Installation d’habitations légères de loisirs
- Amarrage prolongé de bateaux
- Construction d’ouvrages ou d’aménagements
- Dépôt de matériaux
- Prélèvement d’eau ou de matériaux
Le gestionnaire du domaine public fluvial (État, collectivité territoriale ou établissement public) est chargé de délivrer les autorisations d’occupation et de contrôler leur respect. Il dispose pour cela d’un pouvoir de police spéciale.
L’occupation irrégulière peut résulter soit de l’absence totale d’autorisation, soit du non-respect des conditions fixées dans l’autorisation (durée, emprise, usage, etc.). Dans les deux cas, l’occupant s’expose à des sanctions administratives et pénales.
Les sanctions administratives applicables
Face à une occupation irrégulière constatée, le gestionnaire du domaine public fluvial dispose d’un éventail de sanctions administratives graduées :
La mise en demeure
La première étape consiste généralement en une mise en demeure adressée à l’occupant sans titre. Ce courrier enjoint l’intéressé à régulariser sa situation dans un délai imparti, soit en quittant les lieux, soit en sollicitant une autorisation en bonne et due forme. La mise en demeure rappelle les sanctions encourues en cas de non-respect.
L’indemnité d’occupation
Le gestionnaire peut réclamer à l’occupant sans titre le paiement d’une indemnité d’occupation. Son montant est calculé en fonction de la durée de l’occupation illicite et des avantages de toute nature procurés à l’occupant. Cette indemnité peut être assortie d’intérêts moratoires et de pénalités.
L’évacuation d’office
En l’absence de régularisation dans le délai imparti, le gestionnaire peut procéder à l’évacuation d’office des installations irrégulières. Cette mesure est prise par arrêté motivé du préfet, après mise en demeure restée sans effet. L’exécution d’office s’effectue aux frais et risques de l’occupant.
L’astreinte administrative
Pour contraindre l’occupant à libérer les lieux, le gestionnaire peut assortir sa mise en demeure d’une astreinte administrative. Il s’agit d’une somme due par jour de retard dans l’exécution des mesures prescrites. Le montant de l’astreinte peut atteindre 500 € par jour, dans la limite de 500 000 €.
La remise en état
Outre l’évacuation des lieux, le gestionnaire peut ordonner la remise en état du site occupé irrégulièrement. Cette mesure vise à effacer toute trace de l’occupation illicite et à restaurer l’environnement dans son état initial. Les travaux sont réalisés aux frais de l’occupant.
Ces sanctions administratives peuvent se cumuler entre elles. Leur mise en œuvre relève de la compétence du préfet, sur proposition du gestionnaire du domaine public fluvial.
Les sanctions pénales prévues par la loi
Parallèlement aux sanctions administratives, l’occupation irrégulière du domaine public fluvial expose son auteur à des poursuites pénales. Plusieurs infractions sont susceptibles d’être retenues :
La contravention de grande voirie
L’occupation sans titre constitue une contravention de grande voirie, infraction prévue et réprimée par le Code général de la propriété des personnes publiques. Elle est passible d’une amende de 150 à 12 000 €, prononcée par le tribunal administratif sur saisine du préfet. Le juge peut en outre ordonner la remise en état des lieux sous astreinte.
Le délit d’atteinte au domaine public fluvial
Le Code de l’environnement incrimine spécifiquement certaines atteintes au domaine public fluvial. Ainsi, le fait de jeter ou déposer des objets ou matières pouvant entraver la navigation est puni de 3 750 € d’amende. De même, le fait de dégrader les ouvrages d’art ou de navigation est passible de deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende.
Les infractions connexes
Selon les circonstances, d’autres qualifications pénales peuvent être retenues :
- Construction sans permis (Code de l’urbanisme)
- Pollution des eaux (Code de l’environnement)
- Destruction d’espèces protégées (Code de l’environnement)
- Vol de matériaux (Code pénal)
Les personnes morales peuvent également voir leur responsabilité pénale engagée, avec des amendes pouvant atteindre 375 000 €.
La poursuite de ces infractions relève du procureur de la République, sur la base des procès-verbaux dressés par les agents assermentés (police de l’eau, gendarmerie, etc.).
La procédure de constatation et de répression
La mise en œuvre des sanctions administratives et pénales obéit à une procédure strictement encadrée, visant à garantir les droits de la défense :
Le constat de l’infraction
L’occupation irrégulière est généralement constatée lors des tournées de surveillance effectuées par les agents assermentés du gestionnaire du domaine public fluvial. Ces agents dressent un procès-verbal détaillant les faits observés, l’identité du contrevenant si elle est connue, et les textes applicables.
La phase contradictoire
Avant toute sanction, l’occupant présumé irrégulier doit être mis en mesure de présenter ses observations. Une procédure contradictoire est donc engagée, généralement sous forme écrite. L’intéressé dispose d’un délai raisonnable pour faire valoir ses arguments et produire d’éventuels justificatifs.
La décision administrative
Au vu des éléments recueillis, le gestionnaire du domaine public fluvial décide des suites à donner. S’il opte pour des sanctions administratives, celles-ci sont notifiées à l’intéressé par décision motivée. Cette décision précise les voies et délais de recours ouverts.
Les poursuites pénales
En parallèle, le procès-verbal constatant l’infraction est transmis au procureur de la République. Celui-ci apprécie l’opportunité d’engager des poursuites pénales. Le cas échéant, l’affaire est portée devant le tribunal compétent (tribunal correctionnel ou tribunal de police selon la qualification retenue).
L’exécution des sanctions
Une fois prononcées, les sanctions administratives et pénales sont mises à exécution selon les procédures de droit commun. En cas de non-paiement des amendes ou indemnités, le Trésor public peut engager des mesures de recouvrement forcé (saisies, etc.).
Tout au long de cette procédure, l’occupant irrégulier conserve la possibilité de régulariser sa situation en sollicitant une autorisation en bonne et due forme. Cette démarche peut conduire à un abandon des poursuites, sous réserve de la remise en état des lieux.
Les enjeux et perspectives de la répression
La répression de l’occupation irrégulière du domaine public fluvial soulève plusieurs enjeux majeurs :
L’efficacité du dispositif
Malgré le renforcement progressif de l’arsenal répressif, les occupations sans titre demeurent fréquentes. Plusieurs facteurs expliquent cette situation :
- Manque de moyens humains pour la surveillance
- Complexité et longueur des procédures
- Faiblesse des sanctions prononcées
- Difficultés d’exécution des décisions
Face à ce constat, certains acteurs plaident pour un durcissement des sanctions et une simplification des procédures. D’autres privilégient une approche plus préventive, basée sur l’information et l’accompagnement des usagers.
La proportionnalité des sanctions
La répression de l’occupation irrégulière doit concilier plusieurs impératifs parfois contradictoires :
- Préservation de l’intégrité du domaine public
- Respect du droit de propriété et du droit au logement
- Protection de l’environnement
- Maintien des activités économiques
Le juge administratif exerce un contrôle attentif sur la proportionnalité des sanctions prononcées, au regard notamment de la gravité des faits et de la situation personnelle de l’occupant.
L’harmonisation des pratiques
La gestion du domaine public fluvial étant partagée entre plusieurs acteurs (État, collectivités, établissements publics), on observe des disparités dans l’application des sanctions selon les territoires. Une meilleure coordination entre gestionnaires apparaît nécessaire pour garantir l’égalité de traitement des usagers.
L’adaptation au changement climatique
Les épisodes de sécheresse et d’inondation de plus en plus fréquents modifient les conditions d’occupation du domaine public fluvial. La réglementation et les sanctions devront s’adapter à ces nouvelles réalités, en prenant davantage en compte les enjeux environnementaux.
En définitive, la répression de l’occupation irrégulière du domaine public fluvial s’inscrit dans une problématique plus large de gestion durable des cours d’eau. Elle appelle une approche équilibrée, conjuguant fermeté dans l’application des règles et pédagogie auprès des usagers.